Le portrait, comme les autres grands genres académiques, a survécu aux canons
de l’académisme et a traversé le modernisme en se chargeant de subjectivités inédites. Reliée à cette histoire des arts occidentaux qui l’a conçu longtemps comme la traduction la plus frontale de fonctions sociales dévolues aux œuvres telles que l’expression du rang du commanditaire ou la xation de son image pour la postérité, la pratique émancipée du portrait n’a de cesse d’évoluer au gré de l’histoire des idées et des techniques.

« Je est un autre » : c’est ainsi qu’Arthur Rimbaud résuma son expérience du processus créatif, signi ant que l’artiste « assiste à l’éclosion » de sa pensée, de son œuvre. Dérogeant à la conception cartésienne du sujet, il sous-entendait aussi la porosité de chacun au monde, l’impureté consubstantielle de tout sujet comme agrégat d’altérités.

Quel qu’en soit le medium, quelle que soit la manière de l’artiste et l’agencement
qu’il propose, le portrait est toujours, in ne, une table de négociation, un étal de commerce, entre deux mondes face à face : celui du sujet représenté et celui du sujet regardant. Voilà pourquoi tout portrait est avenant : au-delà du ré exe empathique que la géométrie d’un visage ou qu’une silhouette humaine suscite, l’expérience qu’il ne manque jamais de proposer au spectateur est bien celle d’une situation de commerce. Sur la table, sur l’étal, chacun voit mêlés des morceaux de soi, des aspects de l’autre en un tout autre qui fait humanité.

Les œuvres qui constituent cette exposition multiplient les métamorphoses,
les travestissements, les attributs, et déclinent les attitudes et les postures.
Ces représentations de soi ou de tiers font jouer image et identité. Elles disent l’identi cation à un groupe, à une classe, à un genre. Elles traduisent des processus de construction de soi qui voient la personne composer avec des données biologiques, des paramètres psychologiques et négocier avec des déterminismes sociaux et des inerties culturelles.